C’est probablement le bluesman le plus prolifique du Blues, ayant enregistré plus de 500 titres et des dizaines d’albums ! Depuis ses premiers disques en 1948, son succès commercial ne s’est jamais démenti et, gagnant un nouveau public chaque fois que le précédent l’abandonnait sur le devant de la scène !
Né à Clarksdale au cœur du Mississippi, il avoue avoir appris la guitare au contact de son beau-père, un certain Willie Moore, et aurait peut-être déjà joué professionnellement dans le Sud. Ce qui est certain, c’est que son style au moment où il vient travailler à Détroit pendant la guerre est déjà totalement formé et ne diffère pas beaucoup de sa manière actuelle de jouer. Guitariste extrêmement limité et primitif, il utilise à fond l’électrification de son instrument pour pallier ses insuffisances techniques. Plus encore que chez les autres bluesman, sa guitare est le prolongement de sa voix, profonde et expressive : chaque note, parcimonieusement délivré, étirée ou assourdie, vibrant à l’infini ou claquant sèchement, est une parole. Il a ainsi réussi à créer un style et un son parmi les plus originaux de la musique noire, instantanément reconnaissable aux premières mesures de n’importe lequel morceau.
Ses compositions se divisent en deux groupes : des Boogies endiablés, primitifs à souhait, où son extraordinaire sens du rythme, le claquement de ses talons ferrés sur le sol, ses notes envolées en staccato parviennent à créer le mouvement d’un orchestre entier ; des Blues lents, à l’atmosphère « épaisse à couper au couteau », puissamment évocateurs, dont l’écoute finit par provoquer un malaise, tant ils sont le reflet d’une sensibilité dépressive. Ses meilleures pièces sont parmi les expériences émotives les plus profondes qu’offre le Blues. En fin de compte, l’intensité délivrée par John Lee Hooker repose entièrement sur sa sincérité et son implication personnelle au moment de la performance.
Sa carrière commerciale a véritablement commencé en 1948 avec l’enregistrement de Boogie chillen et Wednesday evening blues qui ont un succès foudrayant dans les ghettos de Chicago et Détroit. Seul avec sa guitare suramplifiée, ou aidé d’Eddie Kirkland, Hooker grave des dizaines de titres dans la même veine pour de multiples marques : spontanéité, fraicheur, émotion sincère dominent cette première partie de sa carrière. Par son omniprésence et sa tenacité, il réussit à surmonter le lourd handicap de l’absence à Détroit de studios correctement équipés et de grandes maisons de disques. Sa renommée devient telle qu’il enregistre pour King et Chess avant de devenir une des grandes vedettes, avec Jimmy Reed, de la prospère compagnie de Chicago, Vee-Jay.
Avec Vee-Jay, il peut bénéficier du soutien d’une impeccable section rythmique emmené par Eddie Taylor et le batteur Thom Whitehead. L’adaptation du style hautement personnel de John Lee Hooker aux règles du Chicago beat est une superbe combinaison. Malgré par-ci par-là quelques arrangements d’un goût douteux , les faces que produit Hooker à cette époque peuvent être considérées comme très réussies : Time is marching, Dimples, Trouble blues, I’m mad, Want ad blues sont des chefs-d’œuvre de mouvement et de puissance, enlevés par un Hooker au sommet de sa forme qui crie son Blues au-dessus d’une rythmique irrésistible.
Vers 1959-60, tout en continuant à enregistrer pour Vee-Jay des morceaux de Rythm and Blues pour le marché noir, Hooker est un des premiers à monter dans le wagon du Blues Revival. Seul à sa guitare acoustique, il enregistre plusieurs albums pleins de l’atmosphère de Clarksdale et qui le révèlent alors au public blanc à la recherche de bluesmen « authentiques », c’est à dire, à l’époque, « acoustiques » (dans Black snake blues : Fantasy). Cela lui permet de participer dès 1960 au festival de Newport et d’être en 1962 la grande vedette de la première tournée européenne de l’American Folk Blues Festival. Au cours de cette tournée, il enregistre Shake it baby qui devient un étonnant succès commercial dans toute l’Europe. La réputation de Hooker est alors immense et il influence de multiples groupes anglais, tels les Animals, les Yardbirds, Spencer Davis Group et les Groundhogs. Avec qui il grave un médiocre microsillon en 1965, mais l’un des tout premiers à réunir pour une séance d’enregistrement un bluesman noir et un groupe anglais.
Bien qu’il continue à enregistrer de façon prolifique de nombreux albums avec des musiciens de Blues, Hooker tente de plus en plus de coller à ce courant Rock. Avec le flair commercial qui le caractérise, il réussit à plus de cinquante ans l’unique exploit de percer sur ce marché de vedettes adolescentes, sans changer fondamentalement de style. Lorsqu’il enregistre en 1970 un double album en compagnie du célèbre groupe américain Canned Heat , il s’identifie presque totalement au monde du Rock.
Après quelques années de présence un peu excessive dans les studios d’enregistrement (notamment pour ABC), John Lee Hooker s’est contenté trop sagement de gérer son image de marque de « père du Boogie » et de légende vivante, animant son Coast to Coast Blues Band qui comprend des musiciens un peu plus orientés vers le Rock californien que vers le Blues profond dans lequel Hooker excelle toujours autant.
Entre les éditions originales, les rééditions, les habillages nouveaux de titres anciens, le retitrage (!) et l’édition de CD, un choix d’albums pour John Lee Hooker devient une gageure. Tout ce qu’a fait Hooker pour Modern et Chess est de très haut niveau. On peut pratiquement en dire autant pour son œuvre sur Vee-Jay à l’exception de quelques faux pas. Ensuite, il a alterné le très bon et le très faible. A l’heure actuelle, recommandons : House of the blues ; Plays ans sings the blues (Chess) ; Boogie Chillen (Official) ; Mad man blues (Chess) ; Sittin’here thinkin’ (Muse) ; This is hip ; Everybody’s rockin’ ; Moanin’ the blues ; Solid sender (Charly) ; The real folk blues (Chess) et, parmi ses albums les plus récents : Back Home (Black & Blue) ; Lonesome mood (MCA), en compagnie de Earl Hooker ; Never get out of these blues alive (ABC) ; Jealous (Pausa). The healer (Chameleon), le présente une fois de plus au milieu d’un aéropage de rockers dont Santana, Bonnie Raitt et Los Lobos ! Cela lui vaut un énième retour sur le devant de la scène. Chapeau !